Santé collective : Le régime de la portabilité en cas de liquidation judiciaire

Une décision de la Cour de cassation du 5 novembre 2020 permet de préciser les modalités d’interruption et de financement de la portabilité lorsqu’une entreprise est placée en liquidation judiciaire. Une analyse de Vincent Alazard, avocat chez Flichy Grangé Avocats, doctorant en droit.

L’article L. 911-8 du code de la Sécurité sociale prévoit, sous certaines conditions, le maintien à titre gratuit pendant un an maximum des couvertures santé et prévoyance pour les salariés garantis collectivement par leur entreprise, en cas de rupture de leur contrat de travail. Cette portabilité des garanties pose difficulté lorsque l’entreprise est placée en liquidation judiciaire. En effet, la portabilité est en pratique financée par les cotisations dues par les salariés demeurant dans l’entreprise.

Or l’ouverture d’une liquidation judiciaire entraîne généralement le licenciement pour motif économique des salariés. Le financement dit « par répartition » devient alors inefficace car l’organisme assureur ne perçoit plus de cotisation faute de salariés dans l’entreprise. Dans cette situation, en l’absence de dispositif assurant son financement, certains organismes assureurs ont refusé d’appliquer la portabilité.

L’arrêt du 5 novembre 2020 (n° 19-17.164).

Après avoir relevé que le contrat d’assurance n’était pas résilié, la Cour de cassation a constaté que l’article L. 911-8 du code de la Sécurité sociale ne prévoit pas :

– d’exclusion de la portabilité pour les salariés licenciés par suite d’une liquidation judiciaire de leur ancien employeur ;

– de condition relative à l’existence d’un dispositif assurant le financement de la portabilité en cas de liquidation judicaire de l’entreprise.

La Cour de cassation a décidé qu’il ne lui revenait pas de « distinguer là où la loi ne distingue pas ». Ainsi, jusqu’à la résiliation du contrat d’assurance, l’organisme assureur doit mettre en œuvre la portabilité, même en l’absence de financement par l’entreprise placée en liquidation judiciaire.

L’interruption de la portabilité

  • Résiliation du contrat d’assurance et portabilité « en cours »

L’article L. 911-8, 3°, du code de la Sécurité sociale dispose que « les garanties maintenues au bénéfice de l’ancien salarié sont celles en vigueur dans l’entreprise ». La Cour de cassation a interprété cette disposition par des avis rendus le 6 novembre 2017 : « Le maintien des droits implique que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié » (Cass., avis, 6 novembre 2017, n° 17013 à n° 17017). Ainsi, la portabilité s’applique aussi longtemps que le contrat d’assurance subsiste. Par ailleurs, la Cour de cassation a précisé dans la note explicative de ses avis du 6 novembre 2017 que « les garanties maintenues sont celles en vigueur dans l’entreprise, ce qui implique que la couverture dont bénéficient les anciens salariés […] puisse […] cesser en cas de résiliation du contrat collectif non suivie de la souscription d’un nouveau contrat ».

Faut-il en déduire que la résiliation du contrat d’assurance met un terme à la portabilité des anciens salariés qui en bénéficiaient déjà ? Certaines cours d’appel semblent considérer que la résiliation du contrat d’assurance n’interrompt pas la portabilité « en cours ». Selon elles, « la référence faite […] aux garanties en vigueur dans l’entreprise doit uniquement conduire à vérifier que le contrat de prévoyance n’est pas résilié au moment de la demande de portabilité. » (CA Lyon, 29 novembre 2018, n° 17/06042 ; CA Colmar, 25 septembre 2019, n° 16/05113 ; CA Paris, 29 octobre 2020, n° 19/07502). La Cour de cassation ne s’est pas prononcée le 5 novembre 2020 sur le sort des portabilités « en cours » puisque dans cette affaire, « il n’était pas justifié de la résiliation du contrat collectif d’assurance en cause ». En l’état, cette question reste donc en suspens.

  • Modalités de résiliation en cas de liquidation judiciaire

L’ouverture d’une liquidation judiciaire n’est pas un motif de résiliation du contrat d’assurance. L’article L. 641-11-1, I du code de commerce dispose qu’« aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d’un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l’ouverture ou du prononcé d’une liquidation judiciaire » et ajoute que l’organisme assureur « doit remplir ses obligations malgré le défaut d’exécution par [l’entreprise] d’engagements antérieurs au jugement d’ouverture » de la liquidation judiciaire. La clause du contrat d’assurance contraire à cette disposition est réputée « non-écrite » (TC Versailles, 31 janvier 2020, n° 2018F00753). En revanche, l’organisme assureur peut recourir à la procédure de résiliation en cas d’impayés de cotisations dues après l’ouverture de la liquidation judiciaire (art. L. 641-11-1, III 2° C. com. ; Cass. com., 15 novembre 2016, n° 14-27045). L’organisme assureur peut aussi résilier le contrat d’assurance dans les cas suivants :

– le silence de plus d’un mois du mandataire liquidateur qui a été mis en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat d’assurance (art. L. 641-11-1, III 1° C. com.) ;

– la résiliation annuelle du contrat à sa date d’échéance, à l’issue d’un préavis d’au moins deux mois (art. L. 113-12 C. ass. ; art. L. 932-12 C. Séc. soc. ; art. L. 221-10 C. mut.).

En tout état de cause, le jugement prononçant la clôture de la liquidation judiciaire implique la disparition de la personne morale et, en conséquence, du contrat d’assurance qu’elle a souscrit.

Le financement de la portabilité

  • L’intervention du législateur

Une intervention législative ne semble toujours pas être d’actualité. Les députés ont rejeté un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021 visant à affecter une partie de la nouvelle contribution exceptionnelle pesant sur les organismes assureurs au financement de la portabilité en cas de liquidation judiciaire (amendement n° AS134 déposé le 8 octobre 2020). Le rapporteur général a justifié le rejet de cet amendement lors des débats parlementaires au motif que « ce risque a été pris en compte dans la détermination du montant de la contribution exceptionnelle ». On comprend que cette dernière a été fixée compte tenu du maintien par l’organisme assureur de la portabilité en cas de liquidation judiciaire. Toute intervention législative semble donc, dans l’immédiat, exclue.

  • L’intervention des partenaires sociaux

L’article L. 912-1 IV du code de la Sécurité sociale donne la possibilité aux partenaires sociaux de créer par accord de branche un fonds de mutualisation auquel, en cas d’extension de l’accord, toutes les entreprises relevant de cette branche sont tenues de contribuer. Domini­que Libault (ancien directeur de la Sécurité sociale de 2002 à 2012) avait proposé, dans son rapport publié en septembre 2015 (§124), que ce fonds finance la portabilité en cas de liquidation judiciaire.

Les signataires d’un accord de branche étendu pourraient aussi décider d’affecter une partie de la cotisation relative au degré élevé de solidarité (art. L. 912-1, I C. Séc. soc.) au financement du risque de portabilité en cas de liquidation judiciaire. En effet, cette cotisation est due par toutes les entreprises tenues d’appliquer l’accord de branche, et collectée par chaque organisme assureur qui couvre ces entreprises. L’organisme assureur devrait alors utiliser la cotisation relative au degré élevé de solidarité de l’entreprise qu’il couvre, pour provisionner le risque de portabilité au cas où cette dernière serait placée en liquidation judiciaire.

  • Le provisionnement du risque par l’organisme assureur

À défaut d’intervention du législateur ou des partenaires sociaux, la solution du financement de la portabilité en cas de liquidation judicaire incomberait à l’organisme assureur. Ce dernier peut à cet égard faire évoluer la tarification de ses contrats afin de préfinancer le risque de portabilité en cas de liquidation judiciaire. C’est la solution avancée par le tribunal de commerce de Lyon dans le jugement ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 5 novembre 2020 : « Il appartient en fait aux assureurs d’intégrer dans l’économie globale des contrats proposés l’aléa lié à une possible liquidation judiciaire de l’employeur » (TC Lyon, 19 juillet 2018, n° 2017J01105). En l’absence d’un autre dispositif de financement, les organismes assureurs pourraient être tenus de constituer des provisions techniques au titre du risque de portabilité en cas de liquidation judiciaire en application de leur obligation prudentielle (art. R. 343-1 1° C. ass.).

Une tarification par « capitalisation » (le coût du risque est provisionné) engendre toutefois plusieurs difficultés. D’abord, une tension parmi les organismes assureurs, entre ceux qui décideraient de recourir à un tel financement (en augmentant alors leurs cotisations) et ceux qui refuseraient de procéder au provisionnement de ce risque pour ne pas augmenter le coût de leurs contrats et, ainsi, attirer des souscripteurs. Ensuite, la majoration de la cotisation dépendrait de la probabilité propre à une entreprise d’être placée en liquidation judiciaire et impacterait donc principalement les entreprises économiquement les plus fragiles.

Afin d’éviter une réévaluation générale des cotisations, une solution pourrait consister à prévoir dans le contrat d’assurance une cotisation supplémentaire à la charge exclusive de l’employeur et due uniquement en cas d’augmentation significative des salariés en portabilité sur une période déterminée. Dans cette hypothèse, le refus par l’employeur de verser cette cotisation pourrait alors justifier la résiliation du contrat d’assurance à l’issue de la procédure pour impayé des cotisations. Cette pratique ne manquera pas, toutefois, de soulever des contentieux.

Tous les employeurs concernés

Le dispositif de maintien des couvertures complémentaires prévoyance et santé est issu de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail. La portabilité fait alors l’objet d’un avenant étendu le 18 mai 2009.

Son financement pouvait à l’époque prendre plusieurs formes, la mutualisation au sein du contrat, mais aussi un cofinancement avec des cotisations échelonnées ou prélevé une seule fois lors de la cessation du contrat de travail. La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi n’a conservé que la première modalité.

Avec cette loi, tous les employeurs sont concernés par la portabilité depuis le 1er  juin 2015 alors que ce n’était jusqu’alors pas le cas pour les entreprises dites du hors-champ (non adhérentes au Medef), tels que les organismes de l’économie sociale et solidaire.

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